Les origines familiales de l’abbé Varnoux expliquent pour une grande part que -par son caractère- il soit d’une part ouvert aux autres et d’autre part opposé au nazisme et au régime de Vichy.
La famille de l’abbé Varnoux est issue de la paysannerie, de l’artisanat et du monde ouvrier. Le berceau de la famille est un village nommé Puytor, au Vigen.
Le grand père de l’abbé Varnoux travailla dès l’âge de 12 ans dans une usine de porcelaine limousine. Il fut l’un des fondateurs de la CGT, qu’il quitta pour raisons politiques (c’est à dire qu’il n’accepta pas que la CGT soit liée au parti communiste). Il devint anticlérical ce qui entraîna un conflit avec ses descendants, qui eux, étaient de farouches croyants.
Le père de l’abbé se prénommait Louis Varnoux, il naquit le 28 décembre 1886 et exerça la profession de formier en chaussure. En 1904, à l’âge de 18 ans , il décida de se convertir au catholicisme. En 1910, il adhéra au Sillon de Marc Sangnier, puis au Parti Démocrate Populaire et dirigea un cercle d’étude selon la doctrine sociale de l’Eglise. Il fit la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il fut tué (en 1918).
Le premier octobre 1912 il épousa Jeanne Jabet, qui était modiste. Entre 1920 et 1930, elle donna des cours de mode au siège des syndicats CFTC à Limoges. Elle suivit l’exemple de son mari, adhérant comme il l’avait fait au Parti Démocrate Populaire. Plus tard elle entretiendra son fils Jean dans l’idéal de son père.
Jean Varnoux -par ses parents- hérite donc d’une sensibilité progressiste: l’attachement à la démocratie chrétienne; il est sensible aux idées véhiculées par la doctrine sociale de l’Eglise; il est également attaché aux valeurs mutualistes et syndicalistes. En vertu de ces principes, il crée des patronages -dont « l’Etoile bleue », à Saint-Junien-, et s’occupe de la jeunesse.
Ayant lu Hitler m’a dit, d’Hermann Rauschning, il sait quelle menace le dictateur fait peser sur la paix dans le monde.
Le début de sa carrière de prêtre à Saint-Junien, ville communiste et par définition anticléricale, contribue également à forger un caractère résistant:
Par exemple quand les communistes font tout pour le ralentir dans ses projets, il décide de supprimer les Ostentions, ce qui a pour effet de calmer aussitôt les communistes eux aussi attachés à cette tradition.
Finalement, Jean Varnoux est bien intégré à Saint-Junien, et son sacerdoce lui vaut même d’être traité de « curé communiste ».
Quelles sont les formes de résistance observables dans les camps, d’après le témoignage de Jean Varnoux?
En premier lieu, Jean Varnoux pratique une résistance morale et spirituelle:
Hitler a toujours détesté les chrétiens. A propos des prêtres: “ Les curés devront creuser leur propre tombe. Ils nous vendront eux-même leur bon Dieu! Pour conserver leur fonction et leur misérable traitement, ils consentiront à tout…”.
J. Varnoux et les autre prêtres déportés à Melk organisent clandestinement le culte dans le camp qu’ils considèrent comme une paroisse: messes, prières, assistance aux malades (Jean Varnoux assiste les détenus au revier et leur donne les médicaments qu’il a pu récolter).
Le 25 novembre 1944, tous les écclésiastiques sont envoyés à Dachau, il ne doit plus rester un seul prêtre dans le camp de Melk, tous sauf Jean car la mention “Geistlicher” (« ecclésiastique ») n’est pas indiquée sur sa carte. Si quelqu’un s’en rend compte, J. Varnoux risque d’être tué pour être resté à Melk. Cela ne l’empêche pas de célébrer clandestinement la messe de minuit pour un certain nombre de déportés, à Noël 1944.
« Marc dirigea la prière. Tous communièrent avec ferveur. Dans tout le camp, cris, beuverie, chants et orgie des « droits communs ». Dans cette chambre, silence et recueillement… Emotion… Je pus donner la communion jusqu’en février. »
Durant ce même mois, il est dénoncé. Ludolf organise son jugement: il est condamné à travailler dans un kommando disciplinaire. Le kapo qui le dirige a pour ordre de le tuer en trois jours.
La résistance morale se traduit également par une bonne humeur quasi-permanente, qui lui permet de soutenir ses camarades tout au long de son parcours, même dans les pires moments et endroits:
Avec Emile Falcon, Léonard Garaud et quelques autres, nous avions fait promesse de tout prendre avec humour… C’était une solution !
Par exemple:
Pendant mon attente pour le rasage, devant moi, tendant les fesses au coiffeur, un camarade pleurait :
– Pourquoi pleures-tu ?
– Ma dignité…
– C’est là que tu la places ?
Il sourit et relativisa sa situation.
De plus, la résistance peut prendre une forme intellectuelle. Au camp de Compiègne sont organisées des conférences, auxquelles participent -dans la bonne entente- notamment des militants communistes et des chrétiens affirmés. L’entrainement intellectuel permet aux détenus de conserver leur dignité:
Les confrontations entre jeunes communistes formés dans les centrales françaises par Marcel Prenant, professeur à la Sorbonne, et le père Jacques, directeur du collège d’Avon étaient passionnantes. Se mêlaient à la discussion Marc Zamansky, Antonin Pichon et le chanoine Jean Sigala venu du Block I.
Par ailleurs, des déportés -tels que Jean- participent au ravitaillement. Ils sont nommés pour ramener de la nourriture des cuisines qui doit s’ajouter à la soupe du soir:
[Au camp de Melk, au kommando chargé des travaux de maçonnerie dans la cuisine:] Quant à nous, nous recevions notre ration des cuisiniers à 10h30 au moment du remplissage des bouteillons de 25 litres ou 50 litres qui partaient pour l’usine; cette soupe nous était donnée clandestinement; si nous étions pris, Martin était puni comme nous.
Ensuite, la résistance peut prendre la forme de sabotages. Par exemple, Jean Varnoux participe à la construction d’une station de pompage, et à son sabotage.
En outre, des déportés envisagent la possibilité d’une résistance militaire. C’est le cas de Jean:
« Les copains de Melk m’ont parlé de toi. Les Americains approchent. Pourrais-tu réunir plusieurs gars solides autant que possible et résolus, pour exécuter rapidement des ordres, afin d’éviter un massacre final? » Je donnai aussitôt mon accord et entrai ainsi dans la phase finale de la résistance militaire.
Enfin, certains déportés créent un « comité clandestin international ». A ce comité est notamment attaché le nom et l’action très particulière d’André Ulmann, connu à Melk sous le pseudonyme « Antonin Pichon ». Durant sa déportation, il est engagé dans le secrétariat du camp. Ainsi il peut déplacer les détenus en danger dans les différents kommandos si le chef S.S ou les conditions de vie sont trop dures pour la personne. Il réussit ainsi à sauver un grand nombre de vies.
C’est au cours de cette période d’expansion que Pichon joua son jeu. Ce fut celui de la Karta – le fichier des détenus – et des secrétaires, ceux du secrétariat central et ceux des blocs
(…)
Au centre de cette toile d’araignée, seul sans doute à pouvoir en démêler tout les fils : Pichon. A ce jeu de cache-cache avec la mort, à cet équilibrisme au bord du gouffre, il était le maître.
André Ulmann marchant dans les champs-Elysées
d’après, « André Ulmann ou le juste combat. » Société des éditions internationales.
Un comité clandestin international -plusieurs camps de concentration en sont pourvus- a les fonctions suivantes:
– Il met en relation les différentes nationalités qui composent le camp (et qui ne se comprennent pas forcément) pour coopérer et créer une solidarité :
De plus, comme prêtre, j’avais la confiance de catholiques polonais, autrichiens ou français ayant des responsabilités dans les blocks ou kommandos. Je leur signalais ceux qui avaient besoin d’aide, tant matérielle que morale… et, quand ils le pouvaient, ça marchait…
– Tenter de prendre contact avec la population par l’intermédiaire des kommandos extérieurs. Ainsi: Le 29 juin nous avons appris avec joie que Pierre Deswaerte avait contacté un menuisier autrichien à qui il avait pu remettre une lettre pour son curé.
– Faire circuler les nouvelles à l’intérieur du camp.
– S’efforcer de remplacer progressivement aux différents postes du camp les détenus de droit commun par des résistants: les « rouges » tentent de remplacer les « verts » et les « noirs ». Antonin Pichon aide beaucoup à accomplir cette tache en commençant par faire nommer Henry Scherrer doyen du camp par Ludolph : Ce fut une grande victoire des politiques.
– Faire changer de kommando tel ou tel détenu qui a des soucis avec un chef brutal; c’est essentiellement grâce à Antonin Pichon que ce changement est possible.
– Organiser le cas échéant une résistance armée et des sabotages notamment lors de la mission de Pierre Laidet donnée par Pichon: celui-ci lui demande d’aller saboter le plan de Ludolph qui prévoit de faire sauter la mine avec les détenus. Pierre Laidet est prêt à intervenir.
Organigramme du camp de Melk
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Afin de mieux cerner la personnalité de Jean Varnoux, nous avons interviewé son cousin Louis Varnoux, qui a bien connu l’abbé et qui est l’auteur de sa biographie: Jean Varnoux, l’homme et le prêtre, Edition flanant, 2001