Le matin du jeudi 6 avril, 1500 détenus partent pour la gare de Compiègne. Le voyage vers une destination inconnue se fait dans des conditions atroces :
Les détenus sont transportés dans des wagons à bestiaux. Ils sont entassés à cent personnes dans chaque wagon -lequel pourtant ne peut supporter plus de quarante détenus- en ayant pour seule nourriture une boule de pain et un saucisson, extrêmement salé, qui semble destiné à faire mourir de soif les détenus.
Posé au milieu du wagon, un bidon de fer fait office de toilettes. Il fut insuffisant pour deux jours et trois nuits : une odeur d’excrément se répand dans les wagons. Les détenus baignent dans la crasse et la mort.
Des tentatives de fuites se produisent -certains ayant réussi à scier les planches. Neufs détenus parviennent à s’évader mais les nazis, utilisant leurs mitrailleuses, en reprennent deux. Par la suite les conditions de transport ne font qu’empirer: après avoir fait descendre les détenus du train dans une gare, les S.S les obligent à se mettre nus et à stocker leurs affaires dans les deux premiers wagons. Et cette fois ils ne sont plus cent mais cent vingt cinq par wagon sans nourriture ni boisson.
Résultat : quelques dizaines de gars fous de soif et dangereux… Ils avaient mangé du saucisson!
Vendredi 7 avril: Pour la plupart nous avons gardé notre sang-froid et tenté de calmer les plus excités… Ce qui me valu d’être à moitié étranglé par un ami et de recevoir un maître coup de poing dans la figure.
Heureusement, à un arrêt dans une gare, un cheminot allemand leur donne une bouteille d’eau qui permet de tranquilliser une partie des déportés du wagon.
Samedi 8 avril: (…) le train s’arrêta. Il y avait un mort dans notre wagon. Nous entendîmes des hurlements ; c’était la fin du voyage. Un de nos amis lut le nom de la gare et annonça : « Mauthausen »! Nous ne pouvions pas tomber plus mal!
Tous sont éjectés avec violence du train, encore nus. Lorsque tous sont habillés -ayant repris des vêtements dans un tas posé sur le quai- ils reçoivent le même ordre devenu habituel : «Zu Funf!» : «Par cinq!».
Ils montent au camp en courant, poussés par les coups répétés des S.S, et par les hurlements des chiens. Après avoir parcouru quatre kilomètres, ils se retrouvent à l’entrée du camp : une imposante forteresse de granit.
Dès l’arrivée des détenus, il s’agit pour les nazis de leur retirer toute identité, de les déshumaniser : la première étape est de leur donner un matricule. Jean Varnoux est désormais « 63273 ». Pour leurs enlever toute dignité, ils leur rasent entièrement le corps. On les prévient que la présence d’un seul poux sur leur personne est synonyme de mise à mort. Les déportés sont habillés dans des uniformes rayés, afin qu’ils perdent toute estime d’eux-même.
Les conditions de travail sont abominables: six fois par jour les détenus doivent monter les 186 marches de “l’escalier de la mort” en portant des blocs de pierre de 20 à 30 kilogrammes. Une grande partie des détenus travaillent à la carrière, laquelle est entourée de S.S.: il n’y a nul moyen de s’échapper sans être éliminé par balle. Les détenus y travaillent notamment pour construire des bâtiments comme “la nouvelle infirmerie”.
Dès 1933, la S.S. avait obtenu l’adjudication des carrières ; c’est pourquoi les camps de concentration furent construits près des carrières. Travail bon marché. Assurance de vente puisque l’Etat allemand était preneur. Grand bénéfice pour …. la S.S.
Les S.S sont d’une cruauté incomparable. Voici quelques exemples de cruauté :
Le 13 décembre 1943, deux frères jumeaux Jacques et Raymond Schartzenberg -35227 et 35228-, sans doute parce que juifs furent conduits au «mur des parachutistes» par un S.S qui leur ordonna de se battre pour envoyer l’un d’entre eux en bas. Ils luttèrent et au moment où le S.S. s’approcha d’eux, ils s’en saisirent et l’entrainèrent avec eux! Mourir pour mourir !… ils ne moururent pas pour rien.
Les S.S frappaient les détenus à coup de «gummi» en permanence, sans raison plausible la plupart du temps.
Autour de moi, cris, coups, durs travaux effectués dans la peur.
Une partie du camp est dirigée par les prisonniers de droits communs : «les triangles verts». Ceux-là font preuve de beaucoup de cruauté pour plaire aux S.S. Cela rend la vie des détenus encore plus dure.
La ration alimentaire est très faible : un bol de malt chaud le matin, un litre de soupe de fanes de betteraves rouges à midi, et 200 grammes de pain le soir accompagné de margarine, de caséine ou de glucose. L’espérance de vie d’un détenu est scientifiquement calculée pour ne pas dépasser trois mois.
Aussi les S.S. effectuent des “sélections”: les hommes trop faibles pour travailler sont soit envoyés au revier où ils ont une infime chance de survie -si ils ne subissent ni d’injection de phénol, ni d’opération chirurgicale, et s’ils ne sont pas contaminés par une maladie telle que le typhus- soit ils sont éliminés dans des chambres à gaz (où logent environs 120 détenus) ou dans des camions à gaz, soit ils sont envoyés au centre d’euthanasie voisin, le château d’Hartheim.
Journal “regards” paru le 1er juillet 1945.
Républicains espagnols construisant la forteresse (1941-1942).
Construction de la forteresse du camp (1941 ou 1942)
Un colonel SS devant l’entrée du camp des häftlingen (1942, 1943 ou 1944)
Déportés retirant leur calot au passage d’un SS (1941ou 1942)
Jeux de saute-moutons ayant pour but d’humilier les détenus (1944 ou 1945)
Le revier (au second plan), en 1945
Bunker (prison) et deux cheminées du four crématoire (1949)
Prisonniers soviétiques (1941?)
Dans Clartés dans la Nuit, Editions de La Veytizou
Dans Clartés dans la Nuit, Editions La Veytizou